5

 

On s’en retourne tous vers l’auto. Le shérif ouvre la portière et s’apprête à monter :

— Allez-y, Sagamore Noonan, continuez à vous foutre du monde. Un jour ou l’autre, vous rirez jaune. C’est ici que ça se trouve et pas ailleurs. Et j’suis bien décidé à mettre la main dessus. Ce jour-là, ça ne sera plus drôle du tout.

— Quoi donc ? fait mon oncle Sagamore. Vous ayez perdu quéq’chose ? Vous auriez dû nous prévenir. De toute façon, on va s’y mettre ; vous n’avez qu’à nous dire ce que c’est. Et ne vous tracassez pas pour ce qui est de l’huile de croton que vos hommes ont bue, on n’en dira rien à personne. Parole d’homme.

Le shérif dit un vilain mot, monte et claque la portière. L’auto fait un bond en avant, prend un virage et commence à monter la côte en cahotant.

C’est drôle, le shérif et ses hommes ont tout le temps l’air pressé. C’est pas étonnant qu’ils écrasent toujours les cochons à M. Gimerson.

Je me demande pourquoi mon oncle Sagamore a acheté tout ce sucre, mais ça sert à rien de l’interroger. J’pourrai peut-être demander à Pop, plus tard. Peut-être qu’il saura. Mais je suis bien tranquille que c’est pas pour nous qu’il l’a acheté, comme il l’a dit au shérif, vu qu’il savait seulement pas qu’on viendrait.

Mon oncle Sagamore regarde vers le haut de la colline, où on aperçoit juste un bout du toit de la roulotte au docteur Severance, qu’est cachée sous les arbres. Alors Pop se souvient qu’avec cette histoire du shérif, il a complètement oublié d’en parler à mon oncle Sagamore. Il le fait.

— C’est pas Dieu possible ! dit mon oncle Sagamore en expédiant une giclée de jus de chique sur une sauterelle qu’est à six pas de là dans le sable. (Il la manque d’un pouce. La sauterelle s’en va en zizillant.) Cent vingt dollars par mois, hein ? Et elle a de l’anémie, tu dis ?

— Ouais, répond Pop. Faut qu’elle mange des légumes.

— Qué pitié ! Et une jeune fille, encore !

— Dis donc, demande Pop, est-ce qu’on en a, des légumes ?

— Hum ! doit bien rester quéques navets : de ceux que Bessie avaient plantés, si les cochons les ont pas déterrés.

— Ça devrait faire l’affaire, dit Pop. Au fond, on n’a jamais vu un cochon anémique.

On remonte jusqu’à la roulotte. Il est déjà tard dans l’après-midi et l’ombre des arbres commence à s’allonger. C’est très joli là-bas, du côté du lac.

Le docteur Severance a détaché la remorque de l’auto, et il a tendu une espèce de toile de tente de couleur rayée au-dessus de la porte, qui fait comme une espèce de véranda. Il y a deux ou trois chaises de toile, une petite table, et dessus une radio portative, qui joue de la musique. C’est vraiment épatant.

Juste comme on arrive, le docteur Severance se montre à la porte.

— Hello ! il dit à Pop.

Et Pop lui présente mon oncle Sagamore. Il porte toujours son veston croisé, mais il a ôté sa cravate et il tient à la main un verre avec de la glace et un truc dedans.

— Vous prenez un verre ? il demande.

— Ma foi, j’dis pas non, répond mon oncle Sagamore, mais faut pas que ça vous dérange.

Il rentre dans la roulotte et on l’entend bricoler avec de la glace et des verres. Et tout d’un coup, voilà que Miss Harrington s’amène devant la porte.

— Nom d’un pétard ! fait mon oncle Sagamore, tout comme Pop quand il l’avait vue la première fois.

Elle s’est changée, mais la petite barboteuse qu’elle a maintenant est toute pareille à l’autre, à part qu’elle est rayée comme un bâton de sucre d’orge. Elle a des sandales rouges, avec une courroie qui lui passe entre les doigts de pied, et ses ongles sont tout dorés. A son poignet, elle a un gros bracelet très lourd, et, à une cheville, une mince chaîne en or. Elle remue la glace dans son verre, elle s’appuie contre la porte et regarde mon oncle Sagamore.

— Il ne se sent pas bien ? elle demande à Pop.

— Ah ! dit Pop. Je vous présente mon frère Sagamore.

— J’aurais dû m’en douter, elle fait. A ce petit quelque chose dans l’œil, si vous voyez c’que je veux dire.

Mon oncle Sagamore n’ouvre pas la bouche. Il continue à la dévisager sans dire un mot.

Elle fait claquer ses doigts sous son nez et lui dit :

— Un peu de tenue, grand-père !

Elle s’avance, s’assied sur une chaise de toile, se croise les jambes et dit :

— Bon sang ! c’est vraiment l’âge de pierre, la vraie jungle.

— Oui, mais le climat est fameux, dit Pop. Rien de tel pour l’anémie.

— Eh ben ! tant mieux, répond Miss Harrington. (Elle chasse un taon de sa cuisse et relève les yeux sur mon oncle Sagamore.) Dis donc, Siméon, s’il y a quelque chose que tu tiens vraiment à savoir, n’hésite pas à me le demander.

A ce moment, le docteur Severance sort avec les deux verres pleins. Il les donne à Pop et à mon oncle Sagamore, s’installe sur l’autre chaise et dit :

— Eh bien ! buvons à la guérison de Miss Harrington.

Ils lèvent tous leurs verres et boivent.

Mon oncle Sagamore regarde dans le sien et dit à Pop :

— Il a dû renverser de l’eau dedans. (Il pêche la glace avec ses doigts et la jette.)

Le docteur Severance tripote la radio.

— Je voudrais bien trouver un poste de la Nouvelle-Orléans, il dit. Miss Harrington a parfois le mal du pays, ça lui ferait du bien d’entendre une voix familière. Pour une jeune fille, c’est dur d’être arrachée à sa famille et aux tourbillons mondains d’une grande ville, tout cela pour cause de maladie.

La musique s’arrête. Il tombe sur un autre poste et on entend une voix d’homme qui dit :

— Voici maintenant nos informations locales ; la police déclare n’avoir rien de nouveau en ce qui concerne le règlement de comptes qui a mis fin à la carrière de Vincent Lilly, dit le Tigre, dont l’assassinat, la semaine dernière, a mis toute la ville en émoi. Le témoin principal de l’accusation serait toujours en...

Le docteur Severance tourne le bouton et retrouve la musique.

— Mais je sens que ce petit coin de campagne va lui faire un bien fou, il reprend. C’est exactement ce que j’espérais trouver, quand j’ai décidé de m’occuper de son cas. C’est ici qu’elle trouvera le repos qu’exige son état. Vous ne vous rendez probablement pas compte, messieurs, de la vie exténuante que les obligations mondaines imposent à une jeune fille qui fait son entrée dans le monde, comme miss Harrington. Réceptions, bals, cocktail-parties, ventes de charité... Jamais une minute de détente. En comparaison, les examens médicaux, et j’en parle savamment, sont une plaisanterie.

Miss Harrington approuve d’un signe de tête :

— Tu parles, Charles !

— Et avec cette anémie qui sape ses forces de minute en minute... Bref, elle y aurait laissé ses os.

Miss Harrington vide son verre et le repose sur la table. Elle se lève et s’en va vers le bout de la roulotte, d’où on a vue sur le lac.

Elle tangue un peu en marchant, ce qui fait que Pop et Sagamore la regardent d’un air vraiment inquiet, comme s’ils avaient peur qu’elle tombe ou quéq’chose.

Le docteur Severance continue à expliquer le dur métier que c’est d’être une « débutante », un truc que je sais pas c’que ça veut dire. Miss Harrington reste plantée à regarder vers le lac et j’ai idée qu’elle doit avoir le mal du pays, et se sentir seule. Moi, je l’aime bien ; on voit tout de suite que c’est quelqu’un de très gentil, qu’est pas toujours en train de vouloir vous tripoter et faire des tas de chichis comme les dames des bonnes œuvres, alors j’ai de la peine pour elle et je voudrais bien qu’elle ait pas attrapé l’anémie et qu’elle ait pas été forcée de quitter sa famille et de manger des légumes.

A la radio, ils mettent un autre air, épatant celui-là, et qui donne envie de battre la mesure avec ses pieds. Miss Harrington regarde toujours de l’autre côté, mais on voit bien qu’elle l’a entendu, parce qu’elle commence à remuer les pieds en cadence avec la musique et à se tortiller comme si elle allait se mettre à danser. C’est vraiment joli à voir.

Le docteur Severance est toujours en train de parler et ne remarque rien, mais mon oncle Sagamore et Pop, ils la guignent du coin de l’œil. Tout en dansant, elle se retourne vers nous, mais elle a pas l’air de nous voir. Elle a une espèce de regard lointain et on voit bien qu’elle fredonne l’air. Tout d’un coup, elle pivote, se retrouve de l’autre côté, et j’veux bien être pendu si, d’un coup sec, elle n’enlève pas ce petit truc qu’elle a sur la poitrine.

Et tout en se tortillant et en ondulant en cadence, elle agite ce petit bout d’étoffe comme si c’était un voile. Elle nous tourne le dos, mais on voit bien qu’elle n’a plus rien d’autre sur elle que sa petite culotte rayée. Ensuite elle se tourne vers nous et, d’un bras, elle plaque ce petit machin-là où il serait si elle ne l’avait pas défait, en souriant d’un air extasié et je l’entends chantonner les mots de la chanson.

Elle a vraiment une jolie voix.

Pop et mon oncle Sagamore ont l’air de beaucoup apprécier la danse, c’est tellement beau ! Ils sont là accroupis, mais tellement penchés en avant qu’ils risquent de tomber sur le nez d’une minute à l’autre et ils ont des yeux comme des boules de loto et ne se rendent pas compte qu’ils renversent tout ce qu’il y a dans leurs verres. Miss Harrington repart en dansant, et, tout en tournant, elle enlève le petit machin de dessus sa poitrine et l’agite comme si elle dirigeait un orchestre.

Pop laisse tomber son verre par terre et commence à applaudir, mais il se reprend, se tourne du côté du docteur Severance et puis se tient tranquille. C’est là que le docteur se rend compte des têtes qu’ils font tous les deux et qu’il se retourne et voit la danse de Miss Harrington.

Il se lève d’un bond et répand son verre sur la table ; ses yeux sont comme de la glace. Il claque un grand coup dans ses mains, et se met à crier :

— Tchou-Tchou ! Hé... Pamela !

Elle sursaute et se retourne vers lui, comme si elle venait de se réveiller.

— Oh ! elle fait, en remettant le petit machin sur sa poitrine, on a pas idée de jouer cet air-là !

Le docteur Severance la regarde d’un air mauvais. Elle vient prendre son verre vide et retourne dans la remorque chercher à boire. A peine elle a passé la porte que le docteur Severance regarde Pop et mon oncle Sagamore, pousse un soupir et secoue la tête d’un air désolé :

— Et voilà ! Voilà, messieurs, les conséquences d’une dépression nerveuse. D’aucuns vous diront que ce n’est pas pire qu’un rhume de cerveau, mais vous avez pu le constater de vos propres yeux. Ce sont ses souvenirs d’enfance qui lui sont remontés à la tête.

— Elle est bien à plaindre, dit Pop. Surtout que ça se voit, qu’elle a de l’entraînement. Elle aurait sûrement pu faire une grande danseuse.

Mon oncle Sagamore approuve d’un signe de tête :

— Ça, pour sûr, qu’elle a le coup.

Miss Harrington revient avec deux verres pleins. Elle s’amène vers moi et me demande, avec un sourire :

— Comment tu t’appelles, fiston ?

— Billy, m’dame.

— Eh bien ! Billy, ils m’ont l’air de t’avoir oublié dans la distribution, alors je t’ai amené un coca-cola.

Elle me tend le verre et dit :

— Si on allait tous les deux jusqu’au lac voir s’il y a moyen de nager ?

— J’comprends qu’il y a moyen, dit Pop. Justement, j’avais dans l’idée que j’pourrais peut-être disposer d’un peu de temps, en dehors du travail, pour vous donner des leçons...

— Bas les pattes, Azor, dit Miss Harrington. D’abord je sais très bien nager toute seule et ensuite pour ce qui est de donner des leçons, je connais la chanson.

Elle retourne à la roulotte et, un petit moment après, elle revient, son sac à main à l’épaule... Le temps de vider nos verres et on descend tous les deux à travers les arbres, vers le lac. — Mon oncle Sagamore et Pop font le geste de se lever comme s’ils s’apprêtaient à venir avec nous, mais le docteur Severance secoue la tête et leur dit :

— Vaut mieux pas, mes amis. On est bien ici. Restons donc à faire la conversation.

Une fois sortis du bois, on se retrouve tout près de l’endroit où oncle Finley travaille à son bateau. Miss Harrington s’arrête et le regarde, là-haut sur son échafaudage, en train de taper comme un sourd sur ses planches :

— Grands dieux ! qu’est-ce que c’est que cet engin-là ?

Alors je lui raconte toute l’histoire de mon oncle Finley et de la vision comme quoi, dans son idée, tous les pécheurs périront noyés dès que la pluie commencera à tomber.

— Eh ben ! dit Miss Harrington, ils ont de drôles d’échantillons, dans le coin.

A peine on était passés, que mon oncle Finley se retourne et nous voit. Sans plus se soucier de nous que tout à l’heure de Pop et de moi, il se remet à taper sur son clou. Et puis brusquement le voilà qui saute sur place, qui se retourne et regarde Miss Harrington en écarquillant les yeux, comme s’il venait juste de l’apercevoir. Il agite son marteau et se met à crier :

— Jézabel !

Miss Harrington s’arrête. Elle le regarde et puis elle se tourne vers moi :

— Quelle mouche le pique ?

Mon oncle Finley s’avance jusqu’au bout de l’échafaudage et, le cou tendu et son marteau braqué sur elle :

— Impudique créature ! il dit, l’air furieux. Ça ose se pavaner par ici, les jambes toutes nues, ça vient apporter la tentation et le péché !

— Oh ! va remettre tes galoches, réplique Miss Harrington.

— Il vous entend pas, vous savez, je lui dis. Il est sourd comme un pot.

Là-dessus, on repart. Mon oncle Finley, lui, continue à nous suivre du haut de son échafaudage, les yeux fixés sur les jambes de Miss Harrington et criant « Jézabel ! » sans voir qu’il est arrivé au bout. Il continue à marcher dans le vide.

Une veine qu’il ait lâché le marteau et qu’il ait réussi à agripper le bord de son bateau, sans ça il serait tombé de plus de six pieds et il se serait sûrement fait du mal. On était déjà loin, qu’il était encore pendu par les mains contre les planches, en beuglant : « Pécheresse indigne, dévergondée, qui ose se montrer toute nue !... » en se démanchant le cou pour essayer de nous voir. On est descendus jusqu’au bord du lac. Là il n’y avait pas d’arbres. Ça faisait une petite plage de sable, et, près de la berge, l’eau ne paraissait pas profonde. Un peu plus loin, il y avait des arbres, des deux côtés. Le lac tournait à gauche et on ne le voyait plus. L’eau était tout à fait calme, et les arbres se reflétaient dedans. C’était vraiment joli. Miss Harrington regarde d’abord le paysage, puis elle se retourne vers le bateau de mon oncle Finley et la maison :

— Si nous voulons nager, faudrait pas rester à portée de Bille-de-Clown.

— Vous avez un maillot de bain ? je lui demande.

— Euh... oui.

— Pourquoi vous ne retournez pas le chercher ? Comme ça on pourrait aller jusqu’au tournant et nager tout de suite.

— Je l’ai apporté. Il est là dans mon petit sac.

— Ah bon ! ça va, alors.

On s’avance jusqu’au tournant du lac, et puis on entre sous les arbres et de là on ne voit plus mon oncle Finley ni la maison ni rien du tout. C’est chouette. A cet endroit, le lac a bien cinquante mètres de large, et comme le soleil commence à baisser, l’ombre des arbres s’étend jusqu’à l’autre rive. Je n’ai jamais rien vu de si tranquille.

— Vous croyez que j’aurai pied, là, au bord ? je lui demande. C’est que je ne sais pas nager.

— Oh ! oui. Il n’y a pas de danger. Et puis je t’aiderai. Mais attends d’abord que je mette mon maillot.

Là-dessus, elle s’en va derrière des buissons et des fougères qui poussent là. Moi je me mets en caleçon et je l’attends. Le coin m’a l’air très chouette pour apprendre à nager et je suis impatient de commencer.

— Pop voulait toujours m’apprendre, mais y avait jamais moyen de trouver de piscine dans le voisinage des champs de course.

Au bout d’une minute elle revient et, en la voyant, je suis obligé de reconnaître que le docteur Severance n’a pas menti quand il a dit que sa famille était riche. Elle porte un costume de bain tout en diamant.

Bien sûr, y en a pas gras, de costume. Rien qu’un fil à hauteur de la ceinture, avec un tout petit carré à trois coins sur le devant, mais tout est en vrai diamant. Il doit y en avoir pour une fortune. Je me demande si on se sent à l’aise, avec ça.

Et c’est là que j’aperçois le liseron, celui qu’a fait tant de foin dans les journaux, par la suite. Il a des petites feuilles bleues qui lui grimpent autour de la poitrine comme un sentier après une montagne et en plein milieu, y a la petite rose. J’ai jamais rien vu d’aussi joli.

Tout d’un coup, elle s’arrête pile en voyant c’que je regarde, et elle me fait les gros yeux :

— Hé ! Il y a quéqu’chose de pas catholique, là-dessous. Tu ne serais pas un nain, des fois ? Quel âge as-tu ?

— Sept ans, je réponds.

— Oh ! malheur, quelle famille ! Même pas huit ans et...

Mais là, elle baisse les yeux et s’aperçoit que c’est le liseron que je regardais. Alors elle commence à rigoler :

— Ah ! bon. Y a maldonne. Tu commençais à m’inquiéter.

— C’est bougrement joli, je lui dis. J’voudrais bien en avoir un.

— Et moi, je voudrais bien que tu aies celui-ci.

— Pourquoi ?

— Parce que quand j’étais jeune, si j’avais eu pour deux sous de bon sens, je l’aurais fait tatouer sur quelqu’un d’autre.

Moi, je ne sais pas c’qu’elle voulait dire, mais de toute façon ça ne changeait pas grand-chose, vu que je m’imaginais que toutes les dames, elles en avaient un, de liseron, et que si on avait la chance d’en avoir un de joli, c’était toujours ça de gagné. Finalement, on entre tous les deux dans l’eau, tout doucement, pour voir si c’est profond. Comme elle n’a pas apporté de bonnet de bain, elle se relève les cheveux et se les fixe sur la tête avec des épingles à nourrice pour ne pas les mouiller.

Elle traverse le lac aller et retour à la nage, pour me montrer comment on fait travailler ses bras et ses jambes. Après quoi, elle se relève et me tient à plat ventre sur l’eau, pendant que je m’exerce.

Au bout d’un petit moment, je commence à prendre le coup, et j’fais bien un mètre tout seul avant de couler, quand elle me lâche.

— L’important, c’est de ne pas avoir peur de l’eau, elle me dit. Elle ne te fera pas de mal, alors ne te bats pas avec.

Elle refait encore une fois l’aller et retour, ce coup-là pour son plaisir, et ensuite on remonte sur la berge, parce qu’il commence à faire sombre sous les arbres. Comme ses cheveux sont un peu mouillés, elle prend une cigarette dans son sac et on s’assoit tous les deux sur une souche d’arbre, pendant qu’elle les secoue pour les faire sécher. Mouillés comme ça, ils sont noirs comme de l’encre et, contre la peau de son cou et de ses épaules, ça fait rudement joli.

— Oh ! dites donc, je lui fais, vous êtes épatante, vous savez. M’apprendre à nager, et puis tout... On pourra revenir tous les jours...

— Bien sûr. Pourquoi pas ? Ce sera amusant.

— J’espère que vous vous plairez ici. En tout cas, c’est tranquille comme tout et ça vous changera de la Nouvelle-Orléans. Ça a dû être fatigant pour vous, tout ça.

— Comme partie de rigolade, y a mieux, elle répond.